Amicale des Anciens de Saint Ilan - Un diocse sous les tropiques
UN DIOCESE SOUS LES TROPIQUES
       

Entretien avec Monseigneur CABO,

Évêque de la Guadeloupe

             

A quelque 7200 kilomètres de la métropole, l'île de la Guadeloupe ressemble à un papillon délicatement posé sur un océan d'émeraude.Mgr Ernest CABO Pour en savoir plus cliquer ici ...

Mais le 150e anniversaire de la création du diocèse de Guadeloupe nous rappelle que cet archipel français est autre chose qu'une carte postale idyllique. Encore meurtrie par le lourd passif laissé par l'esclavage, et tout juste sortie d'une grave crise politique et sociale, l'île doit relever de nombreux défis. Mgr Ernest Cabo, évêque de Guadeloupe depuis 1984, les évoque pour nous. Prélat confronté à une société en mutation, il espère trouver dans la jeunesse local une relève à la hauteur. Signe précurseur l'ordination d'Alfred Lavital la nuit du 31 décembre 1999, dans un stade vélodrome, en présence de près de 5000 personnes.

Mgr Cabo, lors de la messe de la Nativité, célébrée dans la cathédrale de Basse-Terre, vous avez appelé les Guadeloupéens à la réconciliation. Cela veut-il dire que les Guadeloupéens sont divisés ?

La Guadeloupe a longtemps été une famille au sens le plus large du terme. Avec la modernité - il y a une vingtaine d'années - l'éclatement de cette culture a eu lieu. Et aujourd'hui, comme dans beaucoup de pays d'Europe, et comme en France d'ailleurs, il nous faut reconstruire.

Au moment où nous avons célébré le Sauveur du monde, un fait divers a frappé durement les esprits : quelqu'un a, pris un fusil et a tué. La réconciliation n'est pas un vain mot. Cela vaut pour la famille comme pour la société.

Quel est l'itinéraire qui vous a conduit à l'épiscopat ?

Je suis le douzième évêque du diocèse de la Guadeloupe, un diocèse fondé il y a tout juste 150 ans. Mon accès à l'épiscopat remonte à juillet 1983.

Je suis né à Sainte-Rose, le 15 décembre 1932, troisième enfant d'une famille qui en compte sept. Ma mère est morte l'année même de mon ordination. Tous mes frères et sœurs sont mariés. Nous avons la joie de nous retrouver chaque année aux alentours de la Pentecôte.

Parlez-nous de votre enfance...

Ce qui m'a marqué, c'est surtout la vie de famille. Je tiens à souligner la volonté de mes parents pour nous donner l'essentiel, à un moment où il était très difficile de vivre. Mes parents nous ont appris le sens du service commun, de la charité, de l'ouverture aux autres et du respect. Ils m'ont appris, aussi, le sens de la messe.

Quels souvenirs gardez-vous de votre scolarité ?

A l'époque, il n'y avait pas de livres, pas de moyens pour travailler. Et malgré cela il existait un grand respect des maîtres. Aujourd'hui, c'est tout le contraire. Je me rappelle qu'il fallait se lever très tôt pour aider mes parents à soigner les bêtes. Cette période était très difficile. Elle m'a appris le sens de l'effort et du travail. Le sens du service.

Votre milieu familial a favorisé votre vocation ?

Oui. Et je peux dire que ma famille a comme suscité ma vocation. Mais je n'ai pas dit oui tout de suite à l'appel de Dieu. J'ai pris trois ou quatre ans pour mûrir. En 1946, c'est Mgr Magloire qui m'a permis de donner une réponse décisive, en me posant tout simplement la question.

Qui est Mgr Magloire ?

Originaire de Terre-de-Bas, aux Saintes, il est à l'origine de la création du petit-séminaire à Terre-de-Haut. Je lui dois en quelque sorte ma vocation. C'était un personnage d'une grande bonté, il avait beaucoup de charisme. C'était un saint homme. C'est lui qui m'a guidé.

Quels sont vos souvenirs du séminaire ?

Je suis entré au séminaire en 1949, au petit-séminaire de Blanchette. je revois encore la scène. En 1951, je rejoins Mgr Magloire - suite à un conflit au sein du séminaire - qui me prend dans sa paroisse, à Sainte-Rose. En 1953, je quitte pour la première fois la Guadeloupe. Direction la Bretagne. J'entre au séminaire des vocations tardives à Saint-Ilan. J'ai alors 21 ans. C'était en fait ma dernière chance pour arriver au sacerdoce. Et cela a marché...

Vous présentez le séminaire comme étant un véritable parcours du combattant. Pourquoi était-ce si difficile ?

En fait, au début, je n'étais pas un très bon élève et le séminaire est très exigeant au niveau intellectuel. J'ai fait, ensuite, mes deux années d'étude de philosophie dans le var. Puis, je suis revenu en Guadeloupe pendant deux ans, où j'étais éducateur à l'œuvre de Saint Jean Bosco (dans l'esprit des orphelins du Saint-Esprit à la Croix-Valmer (Var) et deux ans à Toulouse.

Vous êtes ordonné prêtre le 9 août 1964, à Pointe-à-Pitre. Qu'est ce qui a été pour vous le plus important pendant toutes ces années ?

La rencontre d'autres personnes, d'autres cultures. La découverte de la vie paroissiale, des jeunes à évangéliser. Nous faisions aussi beaucoup de pèlerinages.

Mgr Jean Gay vous envoie pour la première fois en mission à Capesterre, et vous arrivez juste après le passage du cyclone Cléo...

Exactement. Il y a eu pas mal de dégâts. Le toit du presbytère était détruit. Pendant ces années, je me suis beaucoup engagé vis-à-vis des jeunes. Ensuite, j'ai été nommé à la direction des ouvres pour l'Action catholique.

Votre prédécesseur s'appelle alors Mgr Siméon 0ually... Avez-vous jamais imaginé pouvoir prendre sa suite ?

 Après toutes les difficultés que j'avais connues lors du séminaire et malgré une vie paroissiale enrichissante, je ne pensais pas qu'un jour je deviendrai évêque.

C'est une véritable pierre qui m'est tombée sur la tête, le jour où j'ai reçu la mitre pour le diocèse de la Guadeloupe. C'était le 6 novembre 1983. Le nonce apostolique était alors Paul Tabet, un Libanais. Je n'ai jamais autant prié. J'avais choisi de mettre cette ordination sous le signe du Christ en rappelant ce cri de foi : " Jésus-Christ, Seigneur. Alléluia ! ". Je suis devenu l'évêque-titulaire un an après, le 2 juillet 1984.

Dans les années 1980, la Guadeloupe est en pleine effervescence. Le climat politique est mauvais, les conflits sociaux se multiplient. Avez vous eu peur des difficultés ?

Oui, la foi et la pratique religieuse, quel que soit le contexte, ne gomment pas les doutes qui surgissent sans vous prévenir. Ce qui est important c'est de rester fidèle, de garder la maison de Dieu qu'est la Guadeloupe. Notre Archipel va vivre dans ces années 80 des moments tragiques. La Guadeloupe se cherche et se déchire : son cœur balance entre l'indépendance et la départementalisation. Les groupes politiques font des surenchères pendant que l'État français essaye de faire entendre sa voix dans cette cacophonie presque générale.

Existe-t-il encore un traumatisme concernant l'esclavage dont on a célébré le 150e anniversaire de l'abolition en 1998 ?

La libération est toujours en marche. Et il faut faire très attention avec cette question de l'esclavage. Elle fait partie de notre histoire, de notre culture. 

De plus, il existe d'autres formes d'esclavage : l'argent, le sexe, l'injustice, la pauvreté, la violence, le mensonge et la haine, etc. Nous devons retrouver et vivre du message du pape Paul VI, qui a écrit Populorum progressio : le développement global de la personne est essentiel. Nous devons bâtir à l'aube de ce troisième millénaire une civilisation de l'amour, du pardon, de la réconciliation et de la guérison.

La famille semble une réalité tout aussi blessée qu'en métropole. La Guadeloupe ne détient-elle pas le record malheureux d'être le département où se pratique le plus d'I.V.G. ?

Triste record, en effet. Cependant, la famille est en train de prendre un bon tournant : celui de la préparation au mariage. Les AFC sont nombreuses. Le père reste malheureusement toujours absent de la famille, et le dialogue y est difficile.

N'est-ce pas le grand défi finalement : le retour du père ?

Oui. Le père travaille beaucoup, a beaucoup d'occupation à l'extérieur de sa famille et il doit revenir à l'essentiel. Il doit revenir dans sa famille.

Comment percevez-vous l'action de Jean-Paul II ?

Je suis étonné de sa proximité. 1l nous fait entrer dans le troisième millénaire. Je me souviens - il y a cinq ans lors de la visite ad limina - il m'a surpris plusieurs fois par la richesse des conversations que nous avions ensemble. Sa manière d'être est un exemple pour qui veut vivre avec le Christ aujourd'hui. Il vit l'équilibre d'être pleinement dans le monde sans être du monde. Il est un véritable phare qui nous éclaire dans la nuit. Et si son corps semble fatigué, la tête et le cœur travaillent encore. . .

Et la jeunesse de Guadeloupe ?

Je trouve notre jeunesse belle ! Je lance un appel aux jeunes : vous devez évangéliser votre monde. vous devez préparer la relève.

Je souhaite aussi lancer un appel aux dirigeants de nos entreprises et aux politiques : vous avez le droit à l'Évangile, ne restez pas au bord du chemin.

Les politiques comparent souvent ce qu'ils font à notre sacerdoce. Mais qui dit sacerdoce dit aussi service des autres. Mettez-vous véritablement au service du peuple. Quant au troisième millénaire, je suis confiant : c'est le temps de la mission. L'Église a ouvert ses portes saintes et nous allons voir se lever de nouveaux saints. Tous les baptisés doivent devenir des missionnaires. Tous saints... Paix aux hommes de bonne volonté !

Propos recueillis par Antoine BORDIER

FRANCE  CATHOLIQUE n° 2730 - 3 mars 2000

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